Bizarrement, par deux fois, il est question de nourriture quand j’évoque un moment de totale volupté. Saviez-vous que le orange est la couleur de l’appétit ?
La mangue et moi, c’est une histoire qui a mal commencé. J’ai eu assez jeune, pour habitude, d’entendre mon papa dire que la mangue de son enfance avait comme un goût de cirage. « L’impression de bouffer une semelle de chaussure. » Les images parvenaient vite à mes yeux déjà, en ce temps là, et une grimace de dégoût tiraillait mon visage en me visualisant désosser une chaussure de cuir italien, mâchouiller péniblement le contrefort, déchirer la languette et mordre dedans. Beurk
Et puis quand je le regardais en éplucher une, il n’arrivait jamais à ne pas en mettre partout : du jus qui lui coulait jusqu’à ses poignets, un peu de la chair qui se déchirait sous son couteau et qui venait se glisser aux jointures de ses doigts..
Quand il m’en proposait une tranche, je faisais instantanément la tronche comme tous les enfants difficiles, et j’appréhendais d’avance de la trouver trop forte en goût. J’avais peur qu’elle sente les pieds, comme mes Kickers.
Elle et moi, nous nous sommes désaimées longtemps.
Quand j’ai eu 22 ans, j’ai découvert un petit bout de la Thaïlande et un gros morceau de mon palais. Dans la moiteur infernale de ce pays magique, les fruits, les légumes, le curry, les cacahuètes ; tout ce qui se mangeait, me semblait délicieusement bon. J’ai le souvenir de cette femme au marché, qui tenait un stand et découpait les mangues et les ananas avec un couteau de cuisine gigantesque et une lame à en faire pâlir les bûches. Elle le maniait, habile et mécanique, façonnant des cubes de mangues, à la chaîne, avec dextérité, que nous pouvions déguster à l’aide d’un pic sur une feuille de bananier. Il faisait nuit. Nous étions trempés de cette chaleur tropicale. Nous avions chaud. Nous avions soif. Et nous étions gourmands.
Pour un prix dérisoire, je me suis régalée de la meilleure mangue de toute ma vie. La meilleure parce que c’était celle de l’autre côté du monde, qu’on a laissé un peu plus le temps de mûrir et se gorger, d’eau et de soleil. Parce qu’aussi sans doute, j’étais dans de très bonnes dispositions pour accueillir de nouvelles saveurs.
Aujourd’hui, je mesure à quel point la mangue est un fruit splendide. De son écorce épaisse, douce et souple, semblable effectivement à du cuir, rouge, vert, jaune jusqu’à sa chair veloutée, onctueuse, lumineuse, merveilleusement sucrée. Et puis son os de sèche en plein milieu, blanc immaculé. Chaque bouchée est un supplice. Le fruit fond dans la bouche à peine a-t-il rencontré le bout de la langue, à peine s’est-il lové contre la voûte de mon palais. Il embaume, je le respire. Elles sont trop courtes ces bouchées. Précieuses, donc.
Telle père, telle fille, je ne sais en éplucher une, proprement. Mais quel délice ! C’est en dégustant cette assiette de mangue l’autre jour, que j’ai pris conscience une nouvelle fois, de la beauté de ce que produisent les arbres, les fleurs, la mer, la nature en général. Je pourrais vous parler des heures de la texture des fruits. J’avais pensé a écrire sur la noix de coco. J’en ai ouvert une, seule sans l’aide de personne, il y a quelques semaines. Et je m’extasiais sur sa chair blanche, fibreuse dessous sa coque poilue et si lourde, son écorce chocolat veinée, délicate, et qui a tout d’une photo aérienne des méandres d’un fleuve ou d’une radio des racines des forêts du monde. Les ressources de notre terre sont une grâce, protégeons-les comme nos propres enfants.
Bon appétit mes ami(e)s !
Tu viens de me donner tellement faim ! ^^
AHAHA Bon appétit !