C’était un soir de mars, 10 jours après l’équinoxe de printemps. L’atmosphère se réchauffait déjà. Trop tôt. Beaucoup trop. L’hiver avait passé bien vite sans qu’on n’eusse pu goûter à ses flocons, à ses buées froides et mouillées.
Une amie à mon bras, nous venions de nous enivrer avec une brésilienne montée sur ressorts, joyeuse et pimpante, des bulles de champagne dans son sang, ses yeux, ses rides d’expression, dans son accent et ses sourires. Nous étions sorties du bar, 9ème arrondissement de Paris. Il était 21h00 et ça sentait la nuit. Ca sentait la nuit, comme en été ou lors des premières chaleurs. Le bitume emmagasine le soleil toute la journée et finit par exhaler un moite et enveloppant parfum de vacances. Nous errions bras dessus, bras dessous, en quête d’un lieu où dîner. Nous promenions nos carcasses flattées par la lumière des réverbères.
Je jetai mon dévolu sur un restaurant dont l’enseigne se terminait par le mot Thaï. C’était dans une rue adjacente au théâtre du Palace. Après Chartier, après les boutiques de location de costumes. Mon amie acquiesça à ma proposition. Nous nous installons alors, commandons. Elle prend un Bo Bun. Je choisis un Curry vert de poulet avec du riz et des légumes.
En France, quand on parle de curry, l’épice vient sublimer le plat. On prépare des Gambas au curry, du Mouton au curry, du Poulet au curry. En Thaïlande et sans doute dans d’autres pays d’Asie, ce n’est pas la viande ou le poisson qui sont au centre du plat, mais bien le curry lui-même.
Dans ce Curry, il y a des oignons, des poivrons, des Spring oignons, de la lemongrass, d’autres épices dont je n’ai pas le secret et du poulet. Nos plats arrivent. Mon Curry a l’air d’une soupe d’un vert tendre et laiteux (un peu comme un latte Matcha), l’accompagnement est servi dans une autre assiette. En plongeant ma cuillère à soupe dans le Curry, je pars à la pêche au poulet, aux poivrons, aux émincés d’oignons. J’en prélève quelques morceaux ainsi que quelques cuillères du précieux liquide vert pour les mettre dans mon assiette.
Et là, c’est le drame…
Mon amie me racontait ses déboires professionnels quand je plongeai le contenu de ma cuillère dans ma bouche. Explosion de saveurs, de parfums, de souvenirs. Mon amie aurait pu me narrer la création de l’univers ou me révéler qu’elle était enceinte, je n’étais plus là. J’étais partie. Loin. Quelque part dans un des longs corridors magiques de l’espace et du temps. J’étais assise dans un restaurant thaï à Paris mais mon esprit collectait des images de l’autre côté de la Terre : la Thaïlande, 2014. La sauce au Curry n’avait pas le temps de se déposer sur ma langue que j’étais affublée de nouveaux songes. C’est comme si un carton de photos se déversait entièrement sur ma tête, en continu.
Assise à Paris, dans ce restaurant, j’étais en fait, en plein été, toutes jambes dehors dans une robe courte et légère, attablée à la terrasse d’un restaurant sur le bord d’une route de Cape Panwa au sud de la Thaïlande. Je me voyais la nuque trempée, et sentais mes cheveux collés frisotants autour de mes oreilles. Les ongles de mes pieds peints en bleu prenaient l’air dans mes sandales aux semelles fines. Les geckos grimpaient sur les poutres de la paillote et sur les murs. J’étais fascinée par leurs ventouses.
Le serveur était un homme bien mince, délicat, très efféminé, qui baragouinait quelques mots de français, qui détaché et un peu ailleurs, las sans doute, rêvassait en apportant les plats, en tabarrassant les couverts. Là-bas, il servent les bières dans des capotes en Néoprène, pour qu’elles restent fraîches. Là-bas, les fils électriques ne sont que sacs de noeuds. Certains pendent presque sur la route et tous produisent des étincelles le soir. L’électricité qui les parcourt fait un bruit que je n’ai jamais entendu nulle part ailleurs.
Chaque lampée de sauce me donnait des suées et faisait couler mon nez (j’aime manger épicer, mon corps moins), mais cette apparente déconvenue finissait de me projeter plus encore et plus profondément dans le passé et les réminiscences de ce beau voyage. Chaque bouchée était un avion, un train à la vitesse supersonique qui me ramenait sur le tarmac de sensations oubliées, à la gare de sentiments enfouis.
La cuisine Thaï est extraordinairement savoureuse. Et en France, nous avons de très bons représentants de cet art culinaire. Mais aucun plat ne m’avait permis une telle expérience, un retour en arrière si franc et riche de détails. Au delà du curry qui pique, la force de ces mémoires, leur émergence spontanée me tiraient des larmes soudaines. Une décharge de 8 000 volts n’aurait pu me faire pleurer si vite.
Les yeux embués, je voyais pourtant si clair. Je voyais 5 ans auparavant. Cinq ans pile poil. Les nuits tropicales dans ce monde mangeaient le soleil sans traîner. La température permettait de rouler en scooter sans frissonner. Le calme du village nous laissait le loisir de nous balader cheveux au vent et d’apprécier les parfums, dans l’humidité du jour tombé. Le bitume sentait fort aussi dans ce pays. La végétation laissait deviner une vie grouillante pour peu que l’on s’y attarde.
Je n’avais pas décidé de me rappeler, d’y penser. Ma nostalgie choisit souvent un vinyle dans la bibliothèque de mon existence à réécouter, juste comme ça, pour le plaisir. Ici, ce sont les effluves et le goût d’un plat qui m’ont téléportée plus vite que la lumière. Une cagoule sur la tête, les mains dans le dos, je n’ai eu d’autre choix que de regarder le film d’une époque où je découvrais l’Asie, ses odeurs, sa faune, son extrême gentillesse par le prisme thaïlandais.
Parfois, le voyage est à portée d’une cuillère à soupe. Encore faut-il avoir connu une fois, rien qu’une fois les saveurs qui la remplissent.
Pardonnez mes photos prises avec un vieux Bridge Lumix. J’espère vous avoir un peu transporté vous aussi à travers ce récit.
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j’ai adoré ton voyage, tes mots, j’ai même réussi à capter quelques images de ton voyage dans mon imagination… merci
Haaan, ma chamade sudiste. Je t’embrasse ! ^^
Quel voyage!!
J’y étais…
AAAAH tant mieux, c’est réussi alors.
MERCI ! <3
Ton texte est magnifique La puissance du souvenir ! La mémoire émotionnelle n’a pas de limite Même lorsque l’on a Alzheimer, celle-ci ne s’efface pas Merci pour ce voyage 🙂
Merci Emeline, contente de t’avoir fait voyager un peu !
Hello Ornella, j’ai beaucoup lire tes mots, ils m’ont transportée. Ce genre d’expérience est très prenant ! Il n’y a pas longtemps ça m’est arrivé, au milieu d’un parc j’ai senti l’odeur de fleurs que j’avais adoré lors d’un voyage en Afrique, j’avais 10 ans… Autant te dire que je me suis arrêtée net et que j’ai senti autant que je le pouvais cette odeur enivrante. C’est dingue comme notre mémoire peut nous ramener loin !
Et tes belles photos m’ont fait voyager, alors merci !
Comme je comprends ton anecdote. Merci de me l’avoir partagée !