Le Black-out post voyage

A tous les grands voyageurs et à ceux du dimanche, avez-vous, comme moi ce syndrôme  que j’appelle « le black-out post voyage » ?

J’ai remarqué qu’après chaque retour d’expédition ou de voyage, je suis remplie d’un camaïeu d’émotions floues, puisque mélangées entre elles, mais mes souvenirs se froissent, se ternissent. Je ne suis plus capable de me rappeler ce que j’ai fait ou dans quel ordre. J’ai le sentiment que le temps s’est distendu puis rétracté pour finir retourné sur lui-même comme une boule de papier.

« Alors, comment c’était ton voyage ? Raconte. »

Et là, commence en général le plus long des moments de solitude. Tu ne sais pas quoi répondre ni par où commencer. Tu sais que ceux qui te posent la question en attendent beaucoup de ta réponse : ils veulent pouvoir rêver eux-aussi et lire le film dans tes yeux, des moments exceptionnels que tu as passé, au sein de l’ailleurs. Comme des enfants, ils cherchent des étoiles dans le ciel de tes iris, quand tes écrans liquides bouleversés ne sont que buée et brume de chaleur. 

Le Black-out post-voyage dure le temps qu’il dure : le temps de se refaire du décalage horaire, le temps de se purger de ses émotions :  6 mois, un an ?

Même après avoir laissé macérer et infuser les émotions, après avoir mis son coeur au repos, il arrive qu’écrire sur ses voyages soit une torture (par pour Itinera-Magica apparemment, pour qui j’ai une immense admiration. Elle a une plume incroyable et fait des photos spectaculaires de tous les lieux qu’elle visite.) Faire le bon choix de mots demande de la concentration. Chaque phrase est un risque de déshonorer la vérité et la beauté de ce qu’on a vécu, de ce dont on a fait l’expérience.

Chaque retour de voyage me coûte une faille, une fissure à l’âme laissant s’échapper des petits bouts de moi. Je m’évapore un peu, en pensée, en coeur, et m’enfuie sur les traces de la terre que j’ai laissée, pour l’embrasser encore, la toucher, la respirer encore. Et pendant que je nourris des retrouvailles célestes avec elle, le deuil de cette rencontre referme délicatement ma blessure.

Le temps que l’âme saigne, parler de ces moments de grâce est impossible. Une fois cautérisée, le mental fonctionne nouveau. 

Ca fait 2 ans que je suis partie d’Islande et j’ai toujours un significatif remous intérieur à la pensée même de mes 15 jours passés là-bas. Je n’en suis pas guérie. Et je n’ai toujours pas écrit ici à propos de ce voyage bien que j’y pense souvent. Peur de rendre un trop petit hommage à un émerveillement de tous mes sens et de tout mon être.

De même pour mon voyage en Australie (février 2018). Impossible de relater avec exactitude et la précision dont je rêve, les moments de magie sans manquer un détail ou une impression, sans faillir à ce que m’a apporté ce pays et les gens de ce pays.

Se souvenir ou ressentir : telle est la question

Le Black-out Post Voyage vous laisse un goût en bouche, des images en pagaille, des odeurs, des sons de la nature. Mais en faire le tri ou en avoir une vision structurée est complexe. C’est un ensemble : un état général un peu fiévreux et si bon. Ca a quelque chose de sublime et d’indicible de plus fort que les souvenirs. On ne vient pas se saisir du souvenir en ouvrant un tiroir. Tous les tiroirs sont ouverts et le souvenir, imprégné dans chaque cellule du corps. Chaque cellule émet une note et chaque note compose la symphonie du voyage qui vous emplit d’une inexplicable joie, d’une indescriptible nostalgie et qui annihile toute la mémoire. 

La mémoire des faits rigide, percluse et finie nous détache de l’émoi  qui lui est sans bornes et éternel. C’est pourquoi peut-être, mes souvenirs se brouillent : Parce que, sans doute, je veux demeurer dans le sempiternel et l’inaltérable ressenti dont moi seule a le secret, dans le refuge de mon âme, et non dans l’analyse mentale : la prison de mon cerveau.

Pas une mauvaise mémoire : un système de défense.

En réalité, je me rends compte que ce sont les sensations éprouvées qui ont du sens pour moi. Plus que de me rappeler de ce que j’ai fait, comment je l’ai fait, à quel moment ou avec qui. J’ai longtemps été assez alarmée devant le vide sidéral de ma mémoire lorsqu’on me posait la fameuse question fatidique : “Alors raconte?!”. J’avais honte de mettre tant de temps à trouver que dire, de donner l’impression peut-être que je n’avais rien fait véritablement, ou que ce que j’avais à en dire, n’était qu’esbroufe à tel point que j’ai fini par faire des carnets de voyage, pour noter chaque chose, chaque activité, ressenti, un vrai carnet de bord de navigateur. Malheureusement, même mon carnet d’Australie, je n’ai pas encore eu la force de l’ouvrir et de le relire. J’ai peur d’être frappée de plein fouet par la mémoire. L’avantage de ne pas tout se rappeler, c’est que les sensations sont diffuses. Qu’elles n’étouffent pas le coeur. Faire l’effort de me plonger complètement dans les souvenirs, attise avec vigueur mon feu mélancolique. Car mes black-out ne signifient pas un déficit mémoriel. J’ai une excellente mémoire.

Eteins la lumière, montre-nous ton côté sombreeeeuh.

Tous les détails comptent. Les couleurs, les formes, les matières, les parfums, les textures, les peaux, les cheveux, les ciels et leurs nuages. J’ai l’impression que c’est un choix de mon âme qui consciemment bride et cadenasse mes souvenirs afin de me protéger, de canaliser ma sensibilité à fleur de peau. Les rationalistes parleront d’un mécanisme cérébral, comme c’est le cas, apparemment, dans les accidents ou les épisodes traumatiques. Je ne suis pas sûre de ça. Mon cerveau n’éteint pas la lumière. A tout casser, il en baisse l’intensité.

Bientôt, je vais retrouver pour 4 jours précieux, mon Islande dans son manteau collection Automne-Hiver, en peau de neige et en poils de givre. Qu’il me tarde d’avoir froid contre elle, d’en capturer les différents profils dans ma boîte à photos. Elle que je n’ai vue qu’en été, va m’offrir un nouveau visage, et pour sûr, un black-out post-voyage bien nébuleux.

N’oubliez pas de vous abonner sur Hellocoton, Facebook ou Instagram pour vous tenir au courant des prochains articles ! Epinglez cet article sur Pinterest.