
Ici, l’heure n’est pas au débat. Pour ou contre le fait de porter le masque, cela vous regarde. Ce n’est pas l’objet de mon propos. Je voulais seulement partager ici mon ressenti par rapport à la façon dont le contact humain se trouve bouleversé par le port d’un masque, ou d’un vêtement qui ne laisse entrevoir que les yeux.
Les yeux disent tout
Même dans ma formation de comédienne, lors d’un stage où nous faisions face à la caméra, tous les professeurs étaient unanimes. « Tout se passe dans le regard. » Oui, je suis bien d’accord, mais la règle change quand une partie du visage est masquée. D’un coup d’un seul, on ne semble plus très sûr de l’expression que l’on vient de décoder sur un visage. On lit du désarroi, lorsqu’il y avait seulement de la patience. On lit de la colère là où seule règne la concentration. Que serait ce regard si riche en informations, sans les petits muscles faciaux qui accompagnent un ressenti, une émotion ? Le contour d’une bouche, ourlée plus à droite, tirant sur la gauche, les lèvres qui se pincent accompagnées d’un front qui se plisse et d’un long soupir. Ce sont des détails que notre machine cérébrale traite sans grand soucis dans la majorité des cas. Mais ici, quelques rides sur le front et un masque qui se gonfle et se dégonfle ne suffisent pas.

Le grand brouillard des sens
Tout devient flou. Il faut parler devant un morceau de tissu et à un niveau sonore un peu plus élevé que d’ordinaire afin d’être sûr que l’on soit compris et entendu. On a vite fait de baragouiner des énigmes incompréhensibles dans sa barbe, tout en croyant fermement avoir l’élocution de Fabrice Lucchini. Le masque nous renvoie notre propre haleine en plein visage et nous garde de sentir celle des autres, mais nous intoxique tout de même. On ne peut plus lire sur les lèvres en même temps que l’on écoute l’autre, et on craint bien souvent d’avoir mal entendu. Alors, on fait répéter deux ou trois fois quand la première ne suffit pas. D’ailleurs, il arrive que la personne sommée de répéter ses dires finisse par baisser son masque, pour permettre une plus grande intelligibilité, et au diable les miasmes et le virus ! Quant aux yeux, ils semblent avoir perdu tout de leur éclat, de leurs nuances, de leurs couleurs.
When the eyes are foggy, lies shall be told.
Quand les yeux sont brouillés, des mensonges pourraient être dits par inadvertance, sans faire exprès, sans qu’aucune volonté de raconter des salades ne rentre en ligne de compte. Car même si le regard révèle tout, il est encadré par des manies, des tics, par mille et une façons de sourire, de hausser les pommettes, de lever un sourcil ou de creuser la ride du lion qui trahissent oui confirment des doutes. Si les joueurs de poker aujourd’hui sont presque constamment lunettes de soleil sur le nez et casquettes sur la tête, c’est la combinaison de leurs gestes multiples, leur raclements de gorge, leur façon de respirer qui donnera des indices à leurs concurrents sur la qualité de leur Main.
La marche de l’empereur masqué.

A Paris où je vis, les gens sont ternes, sépia, monochromes. Ils craignent le temps qui passe et courent sans cesse après lui. Ils veulent le rattraper et tous les jours, se heurtent à la dure réalité qu’il fuite. Mais tous, ont un coq tatoué entre les omoplates et l’orgueil des parisiens avale celui de tous les français réunis. Déjà qu’ils ne prennent pas le temps et qu’ils portent en grande majorité des couleurs sombres, ce masque les uniformise, les standardise d’autant plus. On ne voit plus qu’un grand rectangle qui appauvrit chacune de leurs expressions. Et si leur démarche en dit long sur eux, leur humeur ou leur état de santé, leur sourire aux abonnés absents est définitivement interdit. Comme les pelouses des parcs : interdites.
Le sourire, complice du regard
La bouche est enfermée, encapuchonnée, la peau suffoque. Rien n’est accessible et le regard subit la perte de son allié majeur. C’est à deux qu’ils disent tant de choses. Les promesses sont verbalisées à grands coups de déclarations ou à demi-mots, et sont accompagnés par la validation d’un clin d’oeil, d’un frémissement de cils, de larmes roulant par dessus le parapet des paupières.
Ombre et lumière pour déceler le véritable message des yeux
Sur un plateau de tournage, toutes les lumières sont nécessaires. Si l’une d’entre elle manque, une ombre viendra frapper l’un des personnages, lui donnant 10 ans de plus ou un air plus sévère, ou plus mystérieux et si ce n’est pas une volonté artistique, alors elles doivent toutes être allumées, pour que le BON message passe au travers de l’écran. Dans la communication humaine au sein de la vie réelle, c’est à peu près la même chose. Et les yeux sont ombragés par la perte d’une moitié du visage. Vénitien ou chirurgical, le masque nous démantibule et nous réduit à l’état de pantin désarticulé. La fraîcheur et le flux vital qui y circulent semblent comme glacés, figés.
Lire aussi : Être du fille du temps. – Une chanson du temps qui passe.

Les visages me manquent
Je suis très attristée moi qui observe beaucoup les gens, de ne plus les voir. J’ai le sentiment (plus poétique que fondé) que ma vue a baissé. En regardant quelqu’un, j’ai l’impression de ne sentir que l’ombre de sa personne avec ce foutu masque. J’ai tellement de plaisir à regarder les gens. Pas au sens pervers du terme, mais au sens créatif et bienveillant. Je les regarde, je vois leur vie défiler devant mes yeux. Je les imagine dans des situations du quotidien. Ils m’amusent par leurs attitudes, leurs grimaces, leur évidente gentillesse. Mais depuis le confinement (mars 2020), je ne les vois plus, je peine, je m’use, me fatigue. Ce que j’entraperçois, je n’en suis pas pleinement certaine. J’ai l’impression d’avoir la moitié d’une clé et l’autre moitié d’une serrure. Je plains les Japonais ou les Népalais pour qui le port du masque est devenu une seconde nature, année après année. Je me réjouis du temps où les figures seront libérées de leurs chaines élastiques. Les sexes ont été libérés il y a 50 ans. Pourvu que nous libérions les trognes de nos concitoyens le plus rapidement possible. Que leur âme soit un jardin public, où l’on puisse se balader en toute quiétude.
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Merci pour ce très bel article. Il résonne avec la publication que j’ai faite, hier, sur instagram. Ce masque nous prive plus qu’il nous protège. Dans ma publication, je parle aussi du manque de liberté qui se cache derrière.
Moi, ce sont les sourires qui me manquent. Je suis une accro aux sourires.
Belle journée à toi.