MELANCOLIE


Je ne compte plus les mares glacées, les délicieux étangs marécageux, les rivières fuyantes qui m’attirent perpétuellement. Je marche, épaules droites et trompette fière. Mais tombe pourtant, chaque jour, les pieds devant, dans des flaques de mélancolie. Brunâtres, et dont le reflet sépia m’oublie, me griffonne le visage. A leur surface, je suis une vieille photo. J’appartiens à l’hier, à l’il était une fois. Aucune botte de pluie, nul caoutchouc capable de me rendre imperméable à mon propre cafard. De jolies perles hurlent en dévalant le toboggan de mes cils. Je suis ma propre attraction. Trempée jusqu’aux os, noyée dans un verre de chagrin.

MELANCOLIEL’invitée surprise : mademoiselle Mélancolie

Pas de calculs, pas de préméditation. Le torrent dévastateur vient embuer un grand éclat de rire, obscurcir un moment de grâce. Le barrage cède sous la pression. Quand c’est trop. Melancholia, mademoiselle, choisit son moment mais avec une paradoxale discrétion brutale.  C’est comme boire la tasse, un jour de grande marée. Le sel te brûle la gorge et t’irrite le nez. Tu valses malgré toi avec la plus charismatique des partenaires : la Mer.

Ca te prend comme une envie d’te soulager. C’est viscéral, ça fait mal tout là-dedans. Et à la fois, tu trimes ; à la fois, tu jouis d’être vivant.

Le besoin de s’arrêter s’impose pour observer l’état de décrépitude dans lequel on se voit soudain verser. Sans alcool, sans substance, sans élément déclencheur. Ca vient tout seul, c’est un mistral sur une nappe en papier, ça balaie la table et range les couverts à sa façon.

Ce parasite qui te dévore et sur lequel tu n’as aucune emprise

Rien à voir avec la tristesse, la mélancolie, c’est une vieille copine vampirisante. C’est celle qui me ronge de l’intérieur, qui frappe chez moi sans prévenir quand je n’ouvrirais même pas au facteur, même pas pour un recommandé. Elle est le termite qui se nourrit de mon écorce. Mais allons bon : on s’habitue, on s’adapte. On fait d’une situation insupportable, une petite écharde recouverte par 4 ou 5 couches de nouvelle peau. On n’y pense plus. Et la mélancolie s’esquive, elle hiberne un peu, elle attend. Elle ne se laisse pas vraiment saisir. C’est ce qui la rend si séduisante. Si attractive.

MELANCOLIEMélancolie sonne comme une eau merveilleuse, empoisonneuse

Elle a ce je-ne-sais-quoi de magique, de glissant, d’instable et de dangereux. Une sensation forte. Une garantie d’expérience par les sens : la douleur physique, la nausée, le mal aux yeux du lavabo fendu. Mais aussi les poumons qui se gorgent d’air de façon si aléatoire, au gré des cadences interrompues par les sanglots et les doutes. La mélancolie attrape le coeur quand rien ne présage d’un tel ouragan. Le Soleil luit. La joie se dessine dans de hauts châteaux de sable et dans des tintements de verres qui s’entrechoquent. Convivialité, plaisir d’être ensemble. Tout va bien.

Et une enclume vient me visser les paupières. Brusquement, le bonheur est un calvaire. Je prends toute la mesure de son pouvoir et je me rappelle que cet instant de pure volupté est un fragment du passé, déjà, tout de suite. C’est fini. S’en apercevoir, c’est un fleuve qui sort de son lit. A ce moment précis, je suis plus consciente que quiconque de la beauté de ce que nous vivions. Les autres n’en ressentent qu’une version plus superficielle. Ils laissent couler. Mais ce sont eux qui ont raison.

La contamination a du bon

Souvent, je m’émerveille aux larmes. La beauté comme la cruauté me fissurent. Bientôt, on y verra le jour à travers ma carcasse pleine de trous. La mélancolie, c’est un puits de pétrole, une bile noire épaisse et toxique, polluante. La mélancolie est un poison que l’on boit avidement, jusqu’à la dernière goutte, puis que l’on crache. Sur cet élixir s’accrochent des molécules de créativité. Melancholia est un entre-deux mondes, un pont suspendu. Elle est le moteur de prises de conscience, elle poétise l’univers et le met face à ses incohérences. Elle souligne ses imperfections, surligne ses particularités. C’est un autre regard sur le monde, plus intense, décalé, et emprunt d’un désespoir qui magnifie, qui embaume, qui singularise.

Vivre avec cette douce amertume

L’éprouver au quotidien est un vrai défi. Je suis de ceux qui aiment les différentes saisons pour ce qu’elles ont d’unique : le strip-tease des forêt en automne ; leur nudité en hiver, les oiseaux musiciens au printemps, les odeurs de soleil et d’herbe mouillée en été. J’ai toujours cru qu’une personnalité avait plus de charme si elle imitait alternativement les tempêtes, la quiétude et le tonnerre. Je navigue sans instruments vers la constance. Pour respirer enfin sans faire sauter mon palpitant d’angoisse. La constance allait de pair avec l’ennui pour moi. Aujourd’hui, constance rime avec paix.

Les affections m’enivrent. Les passions me brûlent. L’île Constance me fait les yeux doux. Elle envoie ses sirènes me quérir et leurs chants mélodieux tracent un canal au milieu de l’océan. L’île apparaît comme un point mordoré entre ciel et eau. Je garde le cap. Nous verrons bien le temps que prendra la traversée. Pas de précipitation, Melancolia prendrait son temps elle-aussi. Savourons le chemin qui marque le climax de cette aventure. L’arrivée n’est que le commencement d’un autre chapitre.

MELANCOLIE

 

Êtes-vous, vous aussi des mélancoliques en puissance ?

Les photos sont de mon cru et ont été prises début février sur la magnifique promenade de Curl Curl Beach à Sydney, début février 2018.

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12 réponses

  1. Ton texte est vraiment superbe Ornella.
    Ah la mélancolie…
    Je l’apprivoise à chaque instant. Elle est porteuse du meilleur comme du pire. J’ai choisi de ne garder que le meilleur. Elle m’inspire beaucoup de textes.

  2. Mon dieu … t’écris tellement bien. Je suis une très grande fan de lecture, amoureuse de poésie et des mots, et on texte … sans compter que je fais partie des personnes facilement mélancolique, et en effet c’est à la fois magique et un poison. Mais ton texte … m’a émue et bouleverser. Chapeau <3

  3. Ton mots sont vraiment magnifiques… <3
    Veux-tu parler de l'impression, dès qu'on fait quelque chose qui nous plaît, que ça sera de toute façon fini dans quelques minutes/heures/jours ? J'ai parfois ce sentiment, et ça m'énerve.

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